dimanche 27 mai 2007

Lettre de Maurice Rajsfus

Cachan 19 février 2007


Chère Aurélie Vauthrin,

C'est bien volontiers que je réponds à votre invitation pour animer un débat, le lundi 2 avril prochain à Bruxelles, lors de la représentation de La Rafle du Vel d'Hiv.

Le 7 novembre 2006, à Liège, après la représentation de cette pièce, nous avions eu, avec les spectateurs, un échange plein d'intérêt sur les tragiques évènements des années noires. Ce débat présentait un intérêt supplémentaire: conserver une mémoire productive pour que de tels drames ne puissent se reproduire sur d'autres groupes de populations réprimées. A cet égard, la montée significative de la droite dure et de l'extrême droite, dans nos pays démocratiques, ne peut qu'inquiéter les citoyens toujours décidés à envisager un monde meilleur où le racisme et la xénophobie n'auraient pas leur place.

Bien amicalement,

Maurice Rajsfus

mercredi 2 mai 2007

Quelques photos des représentations de mars-avril 2007












Critique de Muriel Hublet, journaliste et rédactrice du site Internet www.plaisirdoffrir.be (30/03/07)

Ils sont sept sur scène.
Sept pour un seul homme-enfant.
Sept pour, tour à tour, faire sourdre la rage, la révolte et l’incompréhension d’un gosse de 14 ans qui a vécu le début de l’horreur et qui en porte encore aujourd’hui, plus de soixante ans après les douloureuses cicatrices.
Sept pour Maurice Rajsfus, un petit gamin juif qui raconte un lambeau de son enfance juste avant juillet 42.
Plus qu’un récit, c’est un réquisitoire, une accumulation de faits, de noms, d’images évoquées, de morceaux de discours contre la France et les Français qui ont volontairement et sans guère de gêne, de remords, ni même de peines de justice ensuite ont collaboré à la plus grande rafle humaine qu’aie connu Paris.
Tout commence par une rue, une école, l’évocation du Maréchal Pétain, des jeux de gamins et … l’étoile jaune obligatoire.
Avez-vous jamais porté une étoile jaune sur la poitrine ? demandent-ils d’une seule voix. Et pour mieux choquer, ils vous en donnent une en main, vous la pose sur le cœur. Vous voilà, vous aussi,marqué du sceau de l’infamie juive, symbole visible d’une intolérance larvée.Vous n’aurez plus le droit d’aller au cinéma, au théâtre, dans les parcs, votre wagon de train ou de métro sera celui de queue. Vos achats se feront entre 16 et 17h quand les étals sont vides. Vous êtes juifs et le pire est à venir …
Viendront ensuite la liste des préparatifs froids et méthodiques, la planification rigoureuse de l’administration française (qui pour une fois fera l’admiration de l’occupant allemand).Pour en arriver à l’horreur d’un petit matin où Vent Printanier (le nom de code de l’opération) emportera sans ménagements et sans distinction, hommes femmes et enfants juifs pour les entasser dans le Vélodrome d’Hiver.
Les chiffres tombent comme des couperets, froids, glacés impitoyables.Cinquante bus, 7.000 policiers, 12.000 juifs arrêtés, dont 5000 enfants de moins de 12 ans, parqués comme des animaux, sans boissons, avec des sanitaires insuffisants, sans soins.Le tout dans l’indifférence générale, la presse ne l’évoquera parfois que plus d’un mois plus tard et dans des termes particulièrement atroces et racistes.
Un texte fort, un jeu de scène sobre.
Pas de grands gestes mélodramatiques ou de fausses larmes, pas besoin d’artifice.Les sept acteurs soulignent ou renforcent légèrement les mots puissants de Maurice Rajsfus.Calibrés, millimétrés, sans une virgule de trop, juste pour dire, pour parler d’une injustice volontairement oubliée, pour rappeler, non par devoir de mémoire comme on le dit parfois, mais simplement pour qu’on oublie pas, qu’il est facile de devenir bourreau ou victime et que seule parfois l’épaisseur d’un bout de tissu suffit pour tenter de justifier l’inexcusable.Sept enfants de tous âges, à peine sortis du conservatoire pour certains ou briscard des scènes bruxelloises pour Gérard Duquet, filles ou garçons, sept silhouettes qui représentent ce que sont devenus beaucoup de survivants des vieux enfants, à l’image de ces nains parcheminés par l’âge, mais que l’on a toujours tendance à considérer comme des adolescents.Sept voix à l’unisson pour que demain plus jamais ?????
Un spectacle jeune, fait par des jeunes (oui même Gérard Duquet) qui transmettent un message de paix et de tolérance.
Un message primordial à entendre, à écouter et à garder, Un moment entre parenthèse, aussi lumineux qu’une myriade de bougies, qui dans la sombre nuit, face au vent ou à l’orage, sont symboles de vie, d’espoir et de lutte.
Un instant fragile, une lumière à protéger des deux mains pour que jamais l'espérance ne meurt.

Muriel Hublet

Article paru dans le bulletin pédagogique de la Fondation Auschwitz

La rafle du Vel d’hiv
de Maurice Rajsfus
Adaptation : Philippe Ogouz
Mise en scène : Aurélie Vauthrin-Ledent


16 juillet 1942 : dans l’indifférence quasi générale, 12.884 Juifs dont 5.802 femmes et 4.051 enfants sont arrêtés à Paris par la police française sous les ordres du Gouvernement de Vichy. Rassemblés dans l’enceinte du Vélodrome d’Hiver, ils seront déportés dans des camps d’extermination nazis. Peu survivront… Maurice a 14 ans quand il est arrêté avec sa famille… mais par un hasard inexpliqué, sa sœur et lui seront libérés. Maurice Rajsfus est l’auteur de plusieurs ouvrages, Jeudi noir, Opération étoile jaune et Paris 1942 ; Chroniques d’un survivant mêlant son histoire à des documents administratifs souvent inédits.

" J’ai 14 ans. J’habite Vincennes. Je suis élève au Collège situé à l’Ecole du Nord, rue de la Liberté. J’ai appris à lire et à écrire à l’Ecole de l’Ouest, rue de l’Egalité. Il y a aussi une rue de la Fraternité à Vincennes. Lorsque la rafle s’est produite, je venais d’avoir 14 ans ". Ainsi débute le récit de Maurice. Une salle intimiste. Le décor de la pièce est sobre, dépouillé. Quelques lumières apparaissent, celle d’une immense étoile jaune attire l’œil du spectateur. L’ambiance est " bon enfant ". Maurice se moque de ses enseignants. Il les mime les uns après les autres. Ca nous fait sourire. Et puis, on parle de l'époque, de l'Occupation. On parle de cette fameuse étoile jaune, du regard qu'elle produit sur les camarades d'école, sur les passants dans la rue. Ce rappel salutaire va introduire la suite, le cœur de la pièce : la France collaboratrice organise pour le compte de l'Allemagne nazie une rafle de Juifs en France. Les responsables nous sont nommés et les acteurs nous rappellent le fil des événements de cette journée. Avec deux points de vue, l'un clinique : quelques chiffres et des situations clés. L'autre, vu par les yeux de Maurice, qui en réchappera parce que juif français. Aux sourires du début cèdent la tristesse et l’angoisse. Les acteurs dépeignent les journées dans le Vélodrome d'Hiver : les familles y resteront pendant plusieurs jours sans eau, sans nourriture, sans hygiène aucune. Les enfants s’entassaient dans les gradins parmi les pleurs des enfants et les odeurs d’excréments. En soulignant que dans la France d'alors beaucoup ont fermé les yeux ou se sont rendus complices de la folie criminelle de l’Occupant. Les comédiens ont dit l’insoutenable, sans artifice, sans pathos. Le rideau tombe. Une heure trente de Mémoire, une heure trente d’émotion. Cela vaut le détour…

Sabine Hazee (enseignante de français à l’Ecole Polytechnique de Herstal)

Article Le Matin 6/10/06